La Fenêtre d’Overton
juillet 1, 2024 | by Jean-Claude JUNIN
La Fenêtre d’Overton
Ou comment les extrêmes nous manipulent
La Fenêtre d’Overton, concept théorique développé par Joseph P. Overton, offre un cadre pour analyser l'évolution des idées et des politiques publiques dans nos sociétés contemporaines. Ce modèle explore la gamme des idées acceptables dans le discours public à un moment donné, illustrant comment celles-ci peuvent évoluer de l’inconcevable à l’incontournable.
Selon la théorie, la Fenêtre d’Overton se divise en plusieurs niveaux : les idées considérées comme radicales ou extrêmes, celles jugées acceptables mais marginales, et enfin celles qui sont largement acceptées par le consensus public. L’évolution de cette fenêtre peut être influencée par divers facteurs tels que les événements historiques, les mouvements sociaux, ou les leaders d’opinion. Overton décrit une carte des idées du « plus libre » au « moins libre » concernant l'action du gouvernement, représentée sur un axe vertical. Comme la fenêtre change de taille ou se déplace, une idée à un endroit donné peut devenir plus ou moins politiquement acceptable. Les degrés d'acceptation des idées publiques sont à peu près comme suit :
Impensable
Radical
Acceptable
Raisonnable
Populaire
Politique publique
Le concept n'est pas seulement descriptif, il donne également des outils aux groupes de pression pour déplacer la fenêtre d’Overton, « c’est-à-dire le périmètre de ce qui peut être dit et discuté au sein d’une société ». Prenons l’exemple de Roger Chudeau (monsieur « éducation » du RN) qui s’en est pris récemment à l’ancienne ministre socialiste de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem : La nomination de cette « Franco-marocaine » fut une « erreur » et « pas une bonne chose pour la République », a-t-il lancé. (Pour rappel cette mesure, figurait dans un texte déposé par Marine Le Pen en janvier*)
Étape 1 : de l'impensable au radical
Dans la première étape, ces propos sont considérés comme immoral et répréhensible au sein de la société. Notre société se trouve dans ce cas, enfin j’espère. À ce moment, cette polémique se trouve au niveau de tolérance le plus bas de la fenêtre d'Overton : impensable.
Pour faire changer la position de l'opinion publique, on commence par transformer le sujet en question scientifique. Des savants renommés en parlent, de petites conférences et des colloques sont organisés autour de la binationalité et du « problème de double loyauté ».
Puisque la science (exacte ou non) ne doit pas avoir de limites d'investigation, le sujet cesse alors d'être un tabou absolu. Il n'est plus « impensable » et un petit groupe d'« extrémistes » anti « binationalité » se crée et fait des percées dans les médias. Cette opinion est alors perçue comme simplement radicale.
Étape 2 : du radical à l'acceptable
Dans cette étape, c'est l'acceptation qui est recherchée. Avec les conclusions scientifiques, ceux qui s'opposent de manière inflexible à cette proposition sont traités en intransigeants, fanatiques opposés à la science. Un jargon pseudo-scientifique pourra être créé. Dans le cas de la binationalité, on préférera parler d'avis personnel, les connotations négatives associées au mot « binationalité » seront alors adoucies. Même si l'idée n'est pas encore largement acceptée, elle intègre progressivement le débat public.
Étape 3 : de l'acceptable au raisonnable
Il s'agit ici de transformer le jugement de principe porté sur la binationalité. D'une chose en principe inacceptable, on doit passer à une pratique « raisonnable ». La binationalité trouve une justification ; par exemple, dans le cas d'un manque de personnel, un tel comportement semble devoir se légitimer par le principe hobbesien de conservation. L'homme recherche sa propre conservation et, dans un cas extrême, il doit pouvoir recruter ou confier un poste à responsabilité à un « binational ». L'application d'un tel raisonnement au cas général se fait d'autant plus facilement que le concept était considéré au départ comme impensable et, donc, n'était en butte à aucun des contre-arguments usuellement produits lors de l'émergence d'un débat intellectuel.
D'un autre côté, les « anti-binationaux » se targuent d'être pro-choix, défenseurs d'une liberté somme toute fondamentale. Les irréductibles de l'idée de l'utilité des binationaux sont, quant à eux, perpétuellement critiqués pour leur position devenue « radicale ». Si nécessaire, la communauté scientifique, conjointement aux médias, saura fournir les preuves que l'histoire est truffée d'exemples de trahison de binationaux, laquelle ne posait d'ailleurs pas de problème aux sociétés auparavant.
Étape 4 : du raisonnable au populaire
Il s'agit d'intégrer la pratique défendue à la mentalité populaire. Cela passe par les canaux de diffusion culturelle comme les films, les romans, les journaux ou même la musique. Dans le cas de la binationalité, les films biographiques de binationaux peuvent recouvrir une toute nouvelle signification par exemple. On pourra noter l'utilisation de célébrités ou de figures historiques décrites comme franchement binationaux et traites.
Étape 5 : du populaire à la politique publique
Une fois ancrés dans la société civile, les groupes de pression cherchent une représentation politique, au travers de partis par exemple, et demandent une représentation légale. Et roule ma poule les binationaux sont exclus de tout postes à responsabilités, que ce soit au plus au niveau de l’état, ou même au niveau local comme un médecin binational devenu traite aux yeux d’une population amorphe.
Les étapes présentées ci-dessus forment un exemple de la méthode de déplacement radical de la fenêtre d'Overton d'une position de l'opinion publique à son contraire. Cependant, chacune des étapes, prise individuellement, constitue en soi une ouverture non-négligeable de la fenêtre. De plus, la fenêtre d'Overton peut être utilisée pour favoriser des idées impopulaires en introduisant dans le débat des concepts bien plus radicaux qui font pâlir l'impopularité de ceux que l'on défend en réalité…
* Devant le tollé suscité par cette mesure, la députée sortante du Pas-de-Calais Marine Le Pen a précisé sur les réseaux sociaux que "la restriction ne concernerait que quelques dizaines d’emplois très sensibles dans des postes stratégiques en matière de défense, de nucléaire ou de renseignements par exemple. Cette courte liste serait revue très régulièrement en fonction de l’actualité géopolitique et de ses conséquences pour notre pays"…
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