Le 10 mai 1933 à Berlin
La marche aux flambeaux berlinoise se forme sur la place Hegel derrière l'université Humboldt avant de s'avancer le long de l'île aux Musées jusqu'à la maison des étudiants dans la rue Oranienburg. Là stationnent des camions qui sont chargés de plus de 25 000 ouvrages. Fritz Hippler, dirigeant des étudiants du Brandebourg et futur producteur du film de propagande Der ewige Jude (Le Juif éternel) se lance alors dans une diatribe qui dure jusqu'à ce que le cortège se mette en marche en direction du Reichstag, sous une pluie battante, au son d'une fanfare des SA. La tête d'un buste fracassé de Magnus Hirschfeld est promenée au bout d'un bâton. Une foule avide assiste au défilé des associations étudiantes, des corporations arborant le « Wichs » le costume de leur affiliation, de professeurs en toge, de membres des SA, des SS et de la jeunesse hitlérienne escortés par la police montée ; ils franchissent la porte de Brandebourg, empruntent l'avenue « Unter den Linden » (Sous les tilleuls) jusqu'au forum fredericianum (qui deviendra plus tard la place Bebel) avant de s'arrêter devant l'opéra national. Des orchestres SA ou SS jouent des airs patriotiques et des marches tandis que la place est éclairée par les projecteurs des équipes venues filmer les actualités.
Comme la pluie diluvienne interdit d'allumer le bûcher, les pompiers prêtent main-forte aux étudiants en arrosant les livres d'essence. Après l’allocution du dirigeant syndical étudiant Herbet Gutjahr, qui conclut par ces mots : « Nous avons dirigé notre offensive contre l'esprit non allemand. Je jette au bûcher tout ce qui ne respecte pas l'esprit allemand ! », neuf représentants choisis des associations étudiantes s'avancent les premiers et jettent sur le brasier les livres qui correspondent aux textes de la circulaire. Puis, aux acclamations assourdissantes des étudiants et des spectateurs, c'est le tour des ouvrages transportés dans les camions qui sont jetés en vrac dans les flammes, après être passés de main en main le long d'une chaîne humaine. À la fin de la soirée, les livres de 94 auteurs, dont Erich Kästner, Heinrich Heine, Karl Marx, Kurt Tucholsky et Sigmund Freud, sont réduits en cendres.
Près de 70 000 personnes participent à l'événement. Vers minuit paraît le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, docteur en études germanistes, qui prononce un discours à la fin duquel il ne reste plus rien de la pile de livres qu'un tas de cendres encore fumantes. Les festivités se terminent avec l'exécution chorale du Horst-Wessel-Lied…
Illustration : Mémorial de Micha Ullman sur la Bebelplatz, une chambre souterraine meublée d'étagères vides