En soutien à l’Ukraine

En soutien à l’Ukraine, toute l’équipe du théâtre de Grasse, a décidé le lire un extrait d’un auteur Ukrainien avant chaque représentation, nous vous invitons à lire, et faire lire celui de Neda Nejdana auteure critique et dramaturge ukrainienne née en 1971. Elle est également professeure à l’Université nationale Taras Chevtchenko et directrice du théâtre Mist à Kiev.

Elle a écrit seize pièces de théâtre, dont la plupart ont été mises en scène en Ukraine, Russie, Pologne, Biélorussie… Elle a également traduit une dizaine de pièces de théâtre françaises, russes, biélorusses, qu’elle a elle-même mises en scène dans toute l’Ukraine.

Ce texte est un extrait d’un monologue théâtral qu’elle avait écrit en 2014, lors de la révolution ukrainienne contre la menace russe, qui avait conduit à la ré-annexion de la Crimée par la Russie. Il est dur mais il reste d’une grande et triste actualité.

Neda Nejdana | Maidan inferno (extrait)

(Traduit par Estelle Delavennat)

MONOLOGUE – Quelles sont tes valeurs ? Celles qui comptent vraiment pour toi ? La liberté, la justice, la dignité ?… La vie d’un homme a-t-elle un prix ? Et la liberté ? Es-tu prêt à payer pour tes valeurs ? Avec quoi ? Ton argent ? Ton travail ? Ta liberté ? Ta santé ? Ta vie ? La vie de tes proches ? Ce dernier prix est sans doute la plus terrible… Non, tu ne peux pas… Mais si tu n’es pas prêt à payer ? Alors, ce sont des valeurs ou non ? Ont-elles vraiment un prix ? Des valeurs sans prix ? Mais quand on peut te tuer pour cela, ainsi que tes enfants, qu’arrivera-t-il à ces valeurs ? Alors demain, règneront, ceux-là, les autres, les assassins et leurs enfants… Ceux qui mentiront sur nous… Que faire ? Fuir ? Renoncer ? Périr ? Je ne sais pas… Il y a ceux qui sont vraiment prêts à payer, à risquer… On dit qu’on n’accueille pas les esclaves au paradis… Et puis, il y a ceux qui sont prêts à vendre leur dignité, leur liberté, la vie des autres… Comme si on portait des gènes différents : les uns sont prêts à payer et les autres à se vendre, c’est cela qui les place des deux côtés des barricades. Ces derniers temps, il y a eu, dans le monde, beaucoup de couleurs mélangées, beaucoup de gris. La tolérance, le pluralisme : quels jolis mots… Mais, il y a le noir et le blanc. Le bien et le mal. Cela a toujours été ainsi, simplement, on les a mélangés. Et à présent, c’est une sorte de réaction chimique avec la séparation des corps purs. Sans nuance, ni demi-teinte. Peut-être, qu’aujourd’hui en Ukraine, avons-nous compris ce qui a commencé dans le monde, ce clivage, ce choix entre noir et blanc ?

Là-bas, derrière les écrans de télé, chez nous, en Europe ou en Amérique, ceux qui prônent les valeurs, sont-ils prêts à payer ? Croient-ils en avoir hérité pour toujours ? Etre protégés par les lois et les soldats ? Rien n’est éternel. Nous le savons bien à présent… Les paroles sur des sanctions sont des bla-bla sans fin. Comment mesurent-ils les sanctions, par le sang versé ? Combien de litres de sang par sanction ? Le vampirisme est-il en vente ? L’heure vient de demander le prix et de quel côté tu es ! Car vivre en enfer est impossible. Ou bien possible ? C’est bizarre, l’enfer est associé au feu, et nous, le feu nous sauve. Tout est inversé, une sorte d’antimonde. Mais, on ne sait pas pourquoi on a froid dans notre enfer réel. On a froid et on se sent seul. Comme si on ne vivait pas sur Terre, mais sur une sorte de Mars, occupée par des extra-terrestres. Ils ressemblent beaucoup en apparence à des humains, mais en réalité, ce sont des antihumains, des clones. Hé, les humains ! Vous croyez regarder une émission de téléréalité sur les tortures et les meurtres. Ce n’est pas du cinéma, c’est tout proche. Cela peut même arriver chez vous, indépendamment de vos convictions et de votre réussite. C’est ainsi qu’arriva le fascisme. Maintenant, je comprends, personne ne voulait croire que cela pût lui arriver. C’est comme un virus, il se développe presque instantanément. Il nous faut un système antiviral pour tous. Tant qu’il n’est pas trop tard…

 

19 juillet 2014

édité aux  éditions l'Espace d'un instant.

Crédit photo : Théâtre de Mariupol/News24.fr – Théâtre de Grasse – Neda Nejdana – Théâtre Mist à Kiev