« Ceci n'était qu'un prélude, là où l'on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes. »
10 mai 1933, autodafé à Berlin où les Nazis brûlent sur la place publique plus de 25 000 livres d'auteurs désormais interdits en Allemagne.
Peu de temps après l'arrivée au pouvoir du NSDAP, en 1933, le chancelier Adolf Hitler lance une « action contre l'esprit non allemand », dans le cadre de laquelle se développent des persécutions organisées et systématiques visant les écrivains juifs, marxistes ou pacifistes. Il s'agit en fait d'une initiative organisée et mise en œuvre par des étudiants allemands sous la direction de la NSDStB, association allemande des étudiants nationaux socialistes.
Le 10 mai 1933, le mouvement atteint son point culminant, au cours d'une cérémonie savamment mise en scène devant l'opéra de Berlin et dans 21 autres villes allemandes : des dizaines de milliers de livres sont publiquement jetés au bûcher par des étudiants, des enseignants et des membres des instances du parti nazi. Ils constituent les autodafés allemands de 1933.
La campagne contre l'esprit non allemand
Sous la République de Weimar, les universités allemandes témoignaient déjà clairement d'un esprit réactionnaire, chauviniste et nationaliste. La corporation des étudiants Allemands (DSt) était passée dès l'été 1931 sous la direction d'un représentant de l'association des étudiants allemands nationaux-socialistes (NSDStB) qui avait été élu avec 44,4 % des voix. Après l'accession des nazis au pouvoir, la corporation des étudiants allemands se retrouva en concurrence avec celle des étudiants nationaux-socialistes. Afin de renforcer la corporation des étudiants allemands, trois mois après l'accession d'Hitler et dans la foulée de la création du ministère du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande, le pouvoir dota ses instances dirigeantes de leurs propres organes de presse et de propagande.
Au début du mois d'avril 1933, la fédération étudiante d'Allemagne demanda à ses membres de participer, sous la houlette de Hans Karl Leistritz, à une action qui devait se dérouler sur quatre semaines, entre le 12 avril et le 10 mai, avec pour thème la lutte contre l'esprit non allemand. L'action faisait référence à un autodafé de livres qui s'était déroulé au cours de la première fête de la Wartbourg en 1817, et se présentait comme une « action commune menée contre le négativisme juif ».
« L'esprit juif, tel qu'il se manifeste dans toute son absence de retenue dans l'agitation de la scène internationale, et tel qu'il a déjà laissé ses marques dans la littérature allemande, doit en être extirpé. »
Dans le domaine de la politique académique, l'« action contre l'esprit non allemand » constituait le départ d'une conquête des universités par les corporations étudiantes qui se présentaient comme des « sections d'assaut intellectuelles ».
Le 10 mai 1933 à Berlin
La marche aux flambeaux berlinoise se forme sur la place Hegel derrière l'université Humboldt avant de s'avancer le long de l'île aux Musées jusqu'à la maison des étudiants dans la rue Oranienburg. Là stationnent des camions qui sont chargés de plus de 25 000 ouvrages. Fritz Hippler, dirigeant des étudiants du Brandebourg et futur producteur du film de propagande Der ewige Jude (Le Juif éternel) se lance alors dans une diatribe qui dure jusqu'à ce que le cortège se mette en marche en direction du Reichstag, sous une pluie battante, au son d'une fanfare des SA. La tête d'un buste fracassé de Magnus Hirschfeld est promenée au bout d'un bâton. Une foule avide assiste au défilé des associations étudiantes, des corporations arborant le « Wichs » le costume de leur affiliation, de professeurs en toge, de membres des SA, des SS et de la jeunesse hitlérienne escortés par la police montée ; ils franchissent la porte de Brandebourg, empruntent l'avenue « Unter den Linden » (Sous les tilleuls) jusqu'au forum fredericianum (qui deviendra plus tard la place Bebel) avant de s'arrêter devant l'opéra national. Des orchestres SA ou SS jouent des airs patriotiques et des marches tandis que la place est éclairée par les projecteurs des équipes venues filmer les actualités.
Comme la pluie diluvienne interdit d'allumer le bûcher, les pompiers prêtent main-forte aux étudiants en arrosant les livres d'essence. Après l’allocution du dirigeant syndical étudiant Herbet Gutjahr, qui conclut par ces mots : « Nous avons dirigé notre offensive contre l'esprit non allemand. Je jette au bûcher tout ce qui ne respecte pas l'esprit allemand ! », neuf représentants choisis des associations étudiantes s'avancent les premiers et jettent sur le brasier les livres qui correspondent aux textes de la circulaire. Puis, aux acclamations assourdissantes des étudiants et des spectateurs, c'est le tour des ouvrages transportés dans les camions qui sont jetés en vrac dans les flammes, après être passés de main en main le long d'une chaîne humaine. À la fin de la soirée, les livres de 94 auteurs, dont Erich Kästner, Heinrich Heine, Karl Marx, Kurt Tucholsky et Sigmund Freud, sont réduits en cendres.
Près de 70 000 personnes participent à l'événement. Vers minuit paraît le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, docteur en études germanistes, qui prononce un discours à la fin duquel il ne reste plus rien de la pile de livres qu'un tas de cendres encore fumantes. Les festivités se terminent avec l'exécution chorale du Horst-Wessel-Lied…
Illustration : Mémorial de Micha Ullman sur la Bebelplatz, une chambre souterraine meublée d'étagères vides
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