Publication de la décrétion de Childebert…
février 28, 2025 | by Jean-Claude JUNIN

La décrétion de Childebert, (du latin decretio : décision), est un texte qui organise et modernise la justice et la police en Austrasie, réforme la loi Salique et instaure l’égalité entre les conquérants Francs et la population gallo-romaine. La décrétion fut inspirée et rédigée par la régente Brunehaut ou Brunehilde et instaurée par son fils, le roi Childebert II.
En 595, Brunehaut règne à travers son fils, Childebert, sur les royaumes d’Austrasie et de Burgondie. Childebert ne voit aucun inconvénient au rôle prépondérant de sa mère sur ses royaumes. Brunehaut tient à réformer les institutions du Royaume des Francs, afin de renforcer le pouvoir central, maîtriser les seigneuries vassales et modifier les règles de la loi Salique très machiste et très préjudiciable aux droits des femmes. En février 595, est énoncé et publié l’édit royal dénommé Décrétion de Childeber lors d’une grande cérémonie sur le Champ-de-Mars à Paris, ville acquise par Childebert lors de la succession de Gontran en 592.
Le droit des femmes
Brunehaut n’a pas oublié l’épisode que raconte Grégoire de Tours. Ce dernier rapporte qu’au cours d’une rencontre au sommet, Brunehaut aurait été directement menacée par un proche d’Aegidius, Ursion : « Éloigne-toi de nous, femme… Maintenant, c’est ton fils qui règne… Éloigne-toi, pour que les sabots de nos chevaux ne t’écrasent pas sur leur passage. » Elle s’engagea dans un long combat contre les leudes locaux qui s’opposaient à être dominés par une femme. Elle pourfendit cette vieille coutume héritée des anciens Germains sur la lignée réservée aux seuls mâles pour les dynasties franques. La loi salique fut complétée. Malgré un texte rédigé en grande partie en latin sous le nom de « pactus legis salicæ« , « pacte de la loi salique », Des phrases entières en vieux bas francique sont latinisées. Les termes utilisés dans la nouvelle version écrite et les principes appliqués témoignent autant de larges emprunts au droit romain qu’à la tradition germanique. Ainsi le droit d’une femme de ne pas être mariée contre son gré a été instauré et sera maintenu dans la décrétion de Clotaire en 614.
La justice
Brunehaut s’opposa à la règle établie par la loi Salique sur la « vengeance » pour celle du « châtiment« . Dorénavant la punition pour crime, la faide, n’est plus une affaire d’ordre privé ou une vendetta familiale mais relève de la justice royale et des juges pour régler les différents. «Il est juste que celui qui a su tuer injustement apprenne à mourir justement», note Brunehaut, et le meurtrier qui aura «follement tué sans aucune justification» sera passé par les armes. Les voleurs aussi, s’il se trouve «cinq ou six personnes de bonne foi parlant sans haine et sous serment». Si le voleur est bien né, il comparaîtra devant la justice du roi. Le manant sera pendu haut et court. La justice d’État remplace la justice privée, mais demeure néanmoins une justice de classe.
La police
Brunehaut invente une nouvelle institution, celle du « centenarius« , à la fois « commissaire de police » et juge de paix. Le « centenarius » préside le tribunal local. Brunehaut en fait le responsable cantonal de la sécurité à la place des vigiles (ad vigilas constituti) préposés au guet nocturne. La Décrétion de Childebert charge le « centenier-commissaire » des enquêtes, il a le droit de requérir des particuliers (avec amende de soixante sols d’or en cas de refus) et il doit poursuivre un voleur même si le délit a été commis dans le « canton » voisin. Les centeniers-commissaires sont chargés de la police d’un canton et leur fonction principale est de poursuivre et d’arrêter les malfaiteurs.
L’égalité entre Francs et Gallo-romains
La décrétion de Childebert établit l’égalité entre les descendants des conquérants Francs et de la population d’origine gallo-romaine. Cette résolution égalitaire permettra d’organiser l’État sur des bases solides et élargies à l’ensemble des habitants et permettre d’organiser la hiérarchie des pouvoirs dans les provinces sous l’autorité des comtes vassaux nommés par le roi et exerçant un rôle de « préfet » dans leur fief au nom du pouvoir royal.
L’administration
Le royaume franc s’organise autour de l’État et du pouvoir royal central. L’aristocratie franque est au service du roi et doit lui rendre des comptes sur ses seigneuries, fiefs et comtés. Les seigneurs doivent appliquer les décisions, ordonnances et édits royaux. Brunehaut s’attacha à entretenir les routes de communication, ainsi les nombreuses voies romaines qu’elle restaura portent le nom de chaussée Brunehaut. Elle est dans le légendaire des « bâtisseuses ».
La décrétion de Childebert apporte d’importantes modifications à la loi Salique, notamment par la réintroduction du droit romain préexistant en Gaule jusqu’à l’invasion des Francs. L’organisation territoriale du royaume des Francs est engagée au niveau judiciaire, sécuritaire et administratif sous l’autorité unique du pouvoir royal. De nouveaux droits sont accordés aux femmes. Enfin l’égalité entre les Francs et les Gallo-romains est reconnue.
Brunehaut, par son autorité et sa grande culture, fait plutôt rare pour l’époque même parmi les rois et la noblesse, avait une très haute conscience de sa qualité de reine, fille de roi. Elle eut des partisans parmi la noblesse franque austrasienne et bourguignonne. Elle fut trois fois régente des royaumes d’Austrasie et Burgondie, d’abord pour son fils Childebert qui meurt empoisonné à peine un an après sa décrétion royale, puis pour ses petits-fils Thibert et Thierry et enfin pour son arrière-petit-fils Sigebert. Elle s’est efforcée de conserver l’autorité royale sur une aristocratie franque souvent rebelle et prompte à la confisquer. Elle s’est vu reprocher par le « pape de Rome », de laisser les juifs et les chrétiens de son royaume fêter les jours de Pâque ensemble dans les mêmes lieux de culte… Elle répondit que les problèmes religieux étaient de la responsabilité des « papes » (les évêques), et non de la sienne.
En 613, n’acceptant pas la domination de Brunehaut, un certain nombre de nobles austrasiens font appel à Clotaire II, qui envahit l’Austrasie ; Brunehaut et les fils de Thierry lui sont livrés. Accusée de meurtres, elle est jugée coupable et condamnée à mort. Elle subit un châtiment extrêmement dur : suppliciée trois jours puis exécutée en étant attachée à l’arrière d’un cheval indompté
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