Observant la marche des Anglais qui en février précédent s’étaient emparé non sans déprédations de l’île hollandaise de Saint-Eustache, François de Bouillé, gouverneur de la Martinique, fait secrètement voile avec quelques centaines d’hommes vers la possession anglaise et y parvient dix jours plus tard à la nuit tombée...
Le 3 février 1781, l’île avait été surprise par treize vaisseaux et quatre mille hommes de troupes aux ordres du général anglais Vaughan ; un butin immense était tombé entre les mains des Anglais qui s’y livrèrent à une déprédation donnant lieu, en Angleterre, à de longs procès et à de nombreuses récriminations. L’amiral Rodney qui commandait la flotte fut accusé de détournement à son profit, et il fut reconnu que les Anglais des îles voisines y vendaient leurs marchandises aux ennemis en guerre avec l’Angleterre.
Celle-ci ne devait cependant pas jouir du fruit de sa conquête. Car François de Bouillé gouverneur de la Martinique et gouverneur des colonies françaises des îles du Vent depuis 1777, avait pris en juin 1781 le commandement de la flotte française du comte de Grasse lors de la prise de l’île anglaise de Tobago dans le cadre de la guerre d’indépendance des États-Unis conçut, de ce moment, le projet d’arracher l’île aux mains des Anglais. En novembre 1781, il sortit mystérieusement et s’embarqua avec environ trois-cent cinquante hommes du régiment Walch, d’Auxerrois et de Royal Contois, commandés par Dillon, colonel du régiment de son nom. Le marquis de Bouillé avait fait courir le bruit qu’il allait au-devant de notre armée navale. Mouillées sur la rade de Fort-Royal, trois frégates : la Médée, l’Amazone et la Galathée, la corvette l’Aigle et quatre goélettes armées qui portaient ses troupes reçurent le gouverneur de la Martinique et toute sa suite, et mirent immédiatement à la voile le 15 novembre 1781. Ce ne fut qu’alors que les officiers de terre et de mer, apprirent qu’ils allaient à la conquête de Saint-Eustache. Après mille contrariétés qu’opposèrent au marquis de Bouillé les vents et les courants, il arriva devant cette île dans la nuit du 26 novembre : les chaloupes furent mises à la mer ; mais des lames furieuses, qui battaient une plage escarpée, menaçaient de les briser si elles tentaient d’accoster. Les bâtiments légers et la corvette devaient en effet mouiller, cependant que les frégates devaient rester sous voiles, à porter d’envoyer des troupes à terre.