28 janvier 1393, le bal des Ardents.
janvier 28, 2024 | by Jean-Claude JUNIN
28 janvier 1393, le bal des Ardents.
Le Bal des ardents ou Bal des sauvages désigne la conséquence malheureuse d'un charivari (aussi appelé momerie) organisé dans le but de distraire le roi de France Charles VI le 28 janvier 1393. Le spectacle tourne à la tragédie lorsque quatre membres de la noblesse périssent dans l'incendie causé par une torche apportée par Louis, duc d'Orléans, frère du roi. Seuls Charles et l'un des danseurs en réchappent. Déjà très fragile mentalement, le monarque sombre définitivement dans la folie après cet épisode.
Le 28 janvier 1393, à l'occasion du remariage de l'une de ses demoiselles d'honneur, la reine Isabeau organise un bal masqué à l'hôtel Saint-Pol. La journée se déroule gaiement en fêtes et banquets. Toute la cour a été invitée aux festivités qui se poursuivent le soir par un bal où la cour dispose d'hôtels de plaisance appelés « séjours »
À l'occasion d'un remariage, comme dans le cas de Catherine l'Allemande, il est de coutume d'organiser des mascarades ou charivaris, caractérisés par « toutes sortes de frivolités, déguisements, désordres et jeux d'instruments bruyants et dissonants accompagnés de claquements de cymbales ». Les nobles les plus proches du roi, les ducs d'Orléans, du Berry et de Bourgogne sont présents à l'événement. Après la présentation des musiciens, ceux-ci commencent à jouer. Les convives se mettent à danser au son des trompettes, des flûtes et des chalumeaux et d'autres instruments de musique. Ainsi débute le charivari.
Sur une idée de Hugonin de Guisay, le roi et cinq autres de ses compagnons (De Guisay, Jean III comte de Joigny, Yvain de Foix, Ogier de Nantouillet et Aymard de Poitiers) décident d'animer la fête en se déguisant en « sauvages ». Des costumes en lin sont cousus directement sur eux, puis enduits de poix recouverte de plumes et de poils d'étoupe, dans le but d'apparaître « poilus et velus du chef jusques à la plante du pied ». Des masques composés des mêmes matériaux sont placés sur leurs visages pour dissimuler leur identité à l'assistance. Certains chroniqueurs comme Froissart rapportent qu'ils se lient ensuite les uns aux autres au moyen de chaînes. Seul le roi n'est pas attaché, ce qui lui sauvera sans doute la vie. Des ordres stricts interdisent en outre que les torches de la salle soient allumées, et que quiconque y pénètre pendant les danses, afin de minimiser le risque que ces costumes fortement inflammables ne prennent feu.
Le duc d'Orléans, frère du roi, arrive par la suite accompagné de quatre chevaliers munis de six torches, sans avoir eu vent de la consigne royale. Ivre, il est accompagné de son oncle, le duc de Berry, avec qui il a déjà passé une partie de la soirée dans une taverne. La noce bat son plein lorsque les lumières s'éteignent et que les six sauvages se glissent au milieu des invités, gestuelles et cris à l'appui. D'abord surpris, les invités se prennent au jeu. L'historien Jan Veenstra explique que les six hommes hurlaient comme des loups, lançant des obscénités à la foule et invitant l'audience à tenter de deviner leur identité dans une « frénésie diabolique ». Intrigué par les danses de ces étranges sauvages, le frère du roi s'empare d'une torche pour mieux voir qui se cache sous les masques. Mais le duc d'Orléans s'approche trop près des déguisements et les costumes en lin prennent feu immédiatement alors que les fêtards ne peuvent se dépêtrer à cause de leurs chaînes.
Lorsqu'elle se rend compte que le roi figure parmi les sauvages, la reine Isabeau s'évanouit. Le roi ne doit son salut qu'à la présence d'esprit de sa tante Jeanne de Boulogne, duchesse de Berry, alors âgée de quatorze ans, qui l'enveloppe immédiatement de sa robe et de ses jupons pour étouffer les flammes. Le sire Ogier de Nantouillet réussit à se libérer de sa chaîne et se jette dans un cuvier servant à rincer les tasses et les hanaps. Yvain de Foix, quant à lui, tente d'atteindre la porte où deux valets l'attendent avec un linge mouillé, mais transformé en torche vivante, il n'y parvient pas. La scène vire rapidement au chaos, alors que les compagnons hurlent de douleur dans leurs costumes, et que certains membres de l'assistance, également victimes de brûlures, tentent de secourir les infortunés. L'événement est relaté avec une grande précision par le moine de Saint-Denis Michel Pintoin, qui écrit que « quatre hommes sont brûlés vifs, alors que leurs organes génitaux tombent au sol, générant un fort épanchement de sang ». Seuls deux danseurs survivent à la tragédie : le roi et le Sieur de Nantouillet, tandis que le comte de Joigny meurt sur place, et qu'Yvain de Foix et Aimery de Poitiers agonisent de leurs brûlures durant deux jours. L'instigateur de la mascarade, Hugonin de Guisay, survivra un jour de plus, « en maudissant et insultant ses camarades, les morts comme les vivants jusqu'à son dernier souffle ».
L'événement achève de saper la crédibilité du souverain dans sa capacité à assurer le gouvernement du royaume. L'incident, qui témoigne de la décadence de la cour, suscite la colère des Parisiens qui menacent de se rebeller contre les régents et les membres les plus importants de la noblesse. L'indignation de la population contraint le roi et son frère, le duc d'Orléans, qu'un chroniqueur contemporain accuse de tentative de régicide et de sorcellerie, à faire pénitence à la suite de l’évènement.
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